Les poêles de M. Glist

Cuisinières de masse

« Comment ça t’est venu ? »

Ce premier billet a pour objectif de servir d’introduction et de livrer le récit de mon expérience personnelle avec le chauffage au bois en général, et ce qui m’a mené à m’intéresser d’aussi près à la niche que constituent les cuisinières de masse. Tout un programme !

J’ai passé les premières années de ma vie dans une longère normande chauffée (entre autres) au bois. La maison de mes parents, qui serait probablement considérée comme une passoire thermique si elle diagnostiquée dans son jus aujourd’hui, était chauffée par un insert placé dans l’âtre d’une cheminée traditionnelle, maçonnée sur le mur de refend séparant la cuisine et la salle de bain des pièces de vie. Il diffusait une chaleur intense et très appréciable lorsqu’il était en fonctionnement. Oui, mais…

Pour que la maison reste chauffée, il fallait entretenir un feu continu. Mes parents l’allumaient dès leur arrivée après une journée de travail, puis l’entretenaient jusqu’à leur départ le lendemain. Les techniques utilisées : des bûches les plus grosses possibles, un tirage réduit au minimum, et des réveils programmés en pleine nuit pour aller recharger le foyer. Malgré tout cela, ce n’était pas suffisant pour obtenir un confort thermique suffisant au cœur de l’hiver, et un poêle à pétrole placé à l’autre extrémité du RDC ainsi que des radiateurs électriques dans les chambres de l’étage venaient régulièrement apporter du soutien à l’insert. En parallèle du chauffage, une cuisinière à gaz assurait nos besoins de cuisson.

Ce système de chauffage était certes sous-optimal, mais dans la France rurale des années 90, c’était pourtant la norme. Que ce soit chez les parents de mes amis ou chez les amis de mes parents, la configuration était toujours à peu près la même, avec un insert (ou parfois même un foyer ouvert) qui assurait le chauffage de la pièce de vie, et divers chauffages d’appoint dans les autres pièces. Les adultes se relevaient la nuit pour aller recharger en bois, et pour savoir si quelqu’un était chez lui, il suffisait de regarder si une épaisse fumée s’échappait de sa cheminée. Le coût d’utilisation des chauffages d’appoint (surtout électriques) restait malgré tout un sujet de discussion récurrent au cœur de l’hiver, avec souvent une consigne de ne pas les utiliser durant les jours EJP (Effacement des Jours de Pointe, pour les plus jeunes) où les tarifs du kWh étaient alors parfaitement dissuasifs !

En grandissant, les aléas de la vie m’ont amené à quitter la campagne pour la ville. J’ai alors occupé au fil des années divers logements, surtout des appartements, parfois chauffés à l’électrique, parfois au gaz, mais dont aucun n’était chauffé au bois, allant jusqu’à me faire oublier au fur et à mesure que le chauffage était plus qu’une simple commodité qui se chiffrait en euros une ou deux fois par an. La seule chose que j’avais bien compris, c’est que le confort thermique coûtait de plus en plus cher et qu’il valait mieux avoir un moyen de réguler à 19°C dans la pièce de vie et 17°C dans les chambres pour ne pas avoir de (trop) mauvaise surprise sur la facture.

Ce n’est qu’à presque 30 ans que je suis revenu en milieu rural (et pas qu’un peu, au fin fond des monts du Cantal !) et que j’ai à nouveau partagé ma vie avec un mode de chauffage à bois. Et pas n’importe lequel : la maison que je venais d’acheter dans le but de la rénover était vendue dans son jus, avec pour seul moyen de cuisson et de chauffage une vieille cuisinière à bois !

Et ça, c’était nouveau pour moi. Je savais que ça existait, j’en avais déjà vu sur des photos en noir et blanc, mais personne dans mon entourage n’en possédait et c’était pour moi quelque chose d’un peu obsolète, un genre de poêle particulier qu’on utilisait dans le passé avant l’invention des cuisinières à gaz ou électriques !

J’ai passé un premier hiver dans cette maison telle qu’elle m’avait été vendue, c’est à dire chauffée seulement grâce à la cuisinière et avec une isolation quasi-inexistante. Dans ces conditions, j’ai donc renoué avec un passé presque oublié, avec quelques variations tout de même. Le petit foyer de la cuisinière ne permettait pas en pratique de faire tenir un feu toute une nuit, j’avais donc adopté une tactique différente. Je faisais généralement deux très longs feux tous les jours : le premier de 07h à 13h, que je laissais s’éteindre jusqu’à 17 ou 18h, puis j’allumais mon second feu pour l’entretenir encore plus longuement, souvent jusqu’à minuit passé. Dans ces conditions, je parvenais à atteindre des températures acceptables en journée et même confortables en fin de soirée au moment de me coucher, mais avec un « effet yoyo » non négligeable : de mes 20°C au RDC et mes 17°C à l’étage atteints en fin de soirée, il ne restait généralement que 13-14°C au RDC et 11-12°C à l’étage à mon réveil… un confort spartiate donc, et pourtant obtenu au prix d’une consommation de bois très importante : 12 stères pour passer l’hiver en ayant pourtant emménagé fin novembre, environ 2 mois après le début habituel de la saison de chauffe dans le Cantal !

L’autre prix de cette importante consommation et cette nécessité d’entretenir le feu pendant une douzaine d’heures par jour était une forme d’astreinte à domicile. Etant sans emploi à ce moment-là, c’était possible, mais le jour où j’aurais à nouveau un boulot ? Un stage d’une semaine en entreprise au cœur de l’hiver m’avait donné un premier aperçu de ce que ça donnerait : impossible dans ces conditions de faire assez d’heures de feu pour obtenir un confort thermique satisfaisant…

J’étais cependant sous le charme de cette cuisinière, et appréciais tout particulièrement sa double utilisation pour le chauffage et la cuisson. Etant bon cuisinier et passant beaucoup de temps aux fourneaux, le fait de n’utiliser ni gaz ni électricité pour cuisiner pendant 8 mois de l’année représentait une belle économie.

J’avais (dès l’achat de la maison) bien entendu l’intention de mener à bien une rénovation thermique conséquente une fois les beaux jours arrivés, et ce afin de passer les hivers suivants dans de meilleures conditions. Je comptais a minima réaliser une isolation performante des combles et des murs de l’étage, changer la porte et l’ensemble des fenêtres, et traiter la question du renouvellement d’air. Grâce à ces travaux, j’espérais une réduction substantielle de ma consommation de bois et du temps dédié à faire du feu, ainsi qu’une certaine amélioration du confort, même si je m’attendais malgré tout à continuer à vivre un effet « yoyo » (certes atténué) de la température intérieure entre les moments où je ferai du feu et le moment où je n’en ferai pas. Car l’intermittence, cette propriété intrinsèque du chauffage au bois, me paraissait insurmontable. Un poêle, une cuisinière, ou même un insert, ça ne chauffe que lorsqu’on fait du feu, puis quand on cesse d’en faire, ça refroidit rapidement et ça cesse de chauffer.

La solution à ce casse-tête insoluble allait pourtant bientôt se présenter à moi.

Alors que je menais diverses recherches concernant les travaux de rénovation que je souhaitais mener, notamment sur les forums et groupes spécialisés sur les réseaux sociaux, il m’arrivais parfois de tomber sur des discussions animées au sujet des choix de mode de chauffage. Beaucoup de personnes étaient dans une situation similaire à la mienne : attirées par le chauffage au bois pour diverses raisons (financières, écologiques, préférences personnelles…) mais rebutées par son intermittence. Au cours d’une de ces discussions, un intervenant avait alors suggéré le recours à un « poêle de masse ». Intrigué, j’ai effectué quelques recherches pour voir ce dont il s’agissait. Je suis alors rapidement tombé sur des images d’immenses poêles à bois, atteignant parfois 2 mètres de hauteur ou bien s’étalant horizontalement sur des grandes surfaces, avec des extensions de toutes formes constituant parfois des bancs, des murets, des paliers ou bien des marches. Ils n’étaient pas constitués de fonte et d’acier, mais de briques, de pierres ou de terre, parfois enduits, parfois non…

Ils reposaient cependant tous sur le même principe : plutôt que d’entretenir en quasi-permanence un feu continu, on faisait de grandes, rapides et très vives flambées 1 à 2 fois par jour, la masse constituée par la gigantesque quantité de matériaux dans laquelle les fumées circulaient avant de rejoindre le conduit se chargeant alors d’accumuler les calories dégagées dans le foyer, pour les restituer ensuite doucement pendant de nombreuses heures, alors que le feu était depuis longtemps éteint.

« C’est ça qu’il me faut ! », m’étais-je alors mis en tête à partir de ce moment. J’avais très rapidement identifié dans les départements voisins des poêliers -c’est comme ça qu’on appelle les professionnels du poêle de masse-, mais avais aussi trouvé des plans open-source permettant d’auto construire son propre poêle, pour peu qu’on soit bricoleur chevronné. Un point particulier me chagrinait malgré tout : si certains poêles de masse pouvaient intégrer un four (le plus souvent destiné à réaliser des cuissons douces entre deux flambées), la restitution lente par une épaisse masse de briques au lieu d’une (relativement) fine plaque de fonte rendait manifestement impossible l’utilisation en guise de plaque de cuisson que permettait ma cuisinière actuelle. Des recherches approfondies m’ont alors mené à m’intéresser à une sous-catégorie beaucoup moins connue et plus confidentielle de poêles de masse : les cuisinières de masse. Ces dernières étaient généralement des poêles de masse bâtis à hauteur de plan de travail, et intégrant au-dessus du foyer une plaque de cuisson, combinant ainsi les avantages du poêle de masse avec ceux de la cuisinière à bois. Mais les exemples étaient très rares, les informations peu nombreuses, et les plans introuvables. Les quelques ressources que j’avais malgré tout réussi à trouver ont cependant rapidement commencé à me hanter l’esprit, et je les consultais quotidiennement en me demandant comment j’allais bien pouvoir faire pour en construire une.

Parce que, quoi qu’il arrive, c’est ce qui allait finir par se passer. Je ne savais pas encore comment, ni avec quels matériaux, ni à quel prix, ni dans quels délais, mais une cuisinière de masse allait finir par être construite dans ma pièce de vie. Ce que je ne pouvais pas encore deviner à ce moment, c’est que cette dernière serait la première d’une (possiblement longue ?) série.

La suite est l’objet du reste de ce blog, où je poste régulièrement mes avancées et mes réflexions dans le cadre du développement et de la construction de mes cuisinières, ainsi que des billets plus généralistes sur la cuisine et le chauffage au bois, la maîtrise de l’énergie dans les logements, l’isolation dans le cadre des projets de rénovation, etc…

Partager
S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires