Dans mon précédent et premier billet, j’avais expliqué comment, petit à petit, j’en étais arrivé à vouloir me lancer dans la construction d’une cuisinière de masse, dans le cadre de la rénovation d’une maison dans les monts du Cantal.
La phase de recherches a été très longue et souvent infructueuse, notamment à cause du fait qu’on ne trouvait sur le web francophone pas grand-chose au sujet des cuisinières de masse, si ce n’est quelques photos de cuisinières complètement finies et fonctionnelles sur les sites pro des artisans les ayant construites. C’est finalement sur le web anglophone que j’ai fini par trouver quelques ressources intéressantes, dont des schémas de cœurs de chauffe pour cuisinière de masse, et des suggestions de plans dans lesquels les intégrer afin de construire une cuisinière fonctionnelle. Ces ressources n’avaient pas vocation à constituer un mode d’emploi « clés en main », mais expliquaient quelques principes généraux sur la conception et la réalisation de ces cuisinières, sur les matériaux à utiliser et comment se les procurer, ainsi que sur les principaux écueils à éviter lorsqu’on se lance dans ce genre de projet.
Une des choses qui m’ont frappé, c’est que ces ressources semblaient présenter des cuisinières de masse qui, dans leur utilisation, se rapprochaient bien plus des cuisinières à bois classiques que des cuisinières de masse « à l’européenne » que j’avais eu l’occasion de voir en photo. Je prendrais un jour le temps de développer ça plus en détails. Mais pour faire simple, ces cuisinières étaient construites autour d’un cœur de chauffe de petite capacité, conçu pour être rechargé toutes les 20-25 minutes par de petites quantités de bois successives pendant une durée totale pouvant s’étendre entre 1h et 3h jusqu’à ce que les besoins de chauffage et/ou de cuisson soient satisfaits ; là où les cuisinières européennes étaient conçues autour d’un foyer de grande capacité destiné à être chargé en une seule et unique fois, avec une fois le feu allumé un délai inflexible d’environ 1h à 1h30 pour cuisiner. J’étais au final assez content d’être tombé sur cette variante « à l’anglo-saxonne », car de prime abord, cela me paraissait plus simple de gérer la préparation d’un repas sur une plaque de cuisson dont le profil de température reste constant toute la durée de son utilisation grâce aux rechargements fréquents, et aussi plus confortable de pouvoir faire varier la quantité d’énergie de chauffage injectée dans la maison en ajustement le nombre de rechargements du foyer.
Après un temps raisonnable de réflexion, et sur la base des conseils que j’avais pu recueillir, j’ai décidé de me lancer, et j’ai commandé une bonne partie des matériaux dont j’allais avoir besoin.

J’avais donc à ma disposition des panneaux de fibres céramiques compressées pour réaliser le cœur de chauffe, une porte de foyer et une porte de four compatibles avec le design retenu en terme de dimensions d’encastrement, et surtout ce qui allait constituer le corps (c’est à dire la masse) du poêle : des briques de terre crue, et leur mortier d’assemblage dédié, mélange d’argile et de sable. Contrairement à ce qui relevait de la conception, le choix de ces briques a été fait sur recommandation de la communauté francophone des low-tech et de la construction écologique en général. On le verra plus tard, mais ça s’est avéré être un choix très discutable, et même si ça n’a pas remis en cause la construction de cette première cuisinière, je ne réutiliserai plus ces briques pour construire un tel ouvrage désormais.
Le chantier a pu ensuite commencer !
Etant sur une dalle béton assez solide, aucune préparation particulière n’a été nécessaire si ce n’est un petit ragréage de moins d’un centimètre histoire de partir sur un niveau parfait et gommer les reliefs du carrelage posé de façon approximative par l’ancien propriétaire.

La réalisation de la maçonnerie comprenait plusieurs défis techniques, certains liés au fait que je sois novice en maçonnerie, d’autres à la nature même des briques de terre crue.
Il s’agissait d’abord de suivre au mieux l’ébauche de plan, en ajustant au mieux le calepinage pour faire coïncider les dimensions de mes briques avec les volumes à créer. Pas toujours facile pour un débutant, et par manque d’anticipation d’un étage sur l’autre, je me suis retrouvé avec pas mal de « coups de sabre » (joints verticaux alignés), parfois sur 3 ou 4 étages consécutifs. Heureusement, et c’est le principal, jamais sur toute la hauteur de l’édifice (12 étages de briques).

La deuxième difficulté est venue du manque d’outillage adapté pour la découpe des briques : je réalisais toutes les découpes à la disqueuse sur batterie, ce qui était chronophage, générait énormément de poussière et donnait une finition de coupe approximative. Heureusement, sur ce dernier point, le mode d’assemblage choisi pour cette première cuisinière (joints épais plutôt que joints minces) permettait de s’en accommoder.

Enfin, les briques elles-mêmes me posaient énormément de problèmes. Elles étaient extrêmement fragiles et pouvaient se fissurer pour un rien : si le mortier était un peu trop sec, alors elles ne parvenaient pas à encaisser les petits chocs du maillet au caoutchouc au moment de les ajuster en niveau et en aplomb sur place ; s’il était un peu trop humide, alors elles buvaient beaucoup d’eau, et fissuraient ensuite au séchage à proximité des joints. Par la suite, j’ai compris que j’avais été induit en erreur sur la signification de « BTC » par le vendeur de matériaux. Si pour certains cet acronyme signifie « Brique de Terre Compressée » (le « crue » est alors simplement sous-entendu), pour d’autres cela signifie seulement « Brique de Terre Crue », et cela n’implique alors pas nécessairement que les briques en question aient été moulées sous haute pression, elles peuvent très bien avoir été seulement extrudées. Ce qui était visiblement le cas de celles que j’ai achetées. Bref, il faudra faire avec.

Ces briques se sont révélées tellement fragiles qu’il était impensable d’y visser les lourdes portes de four et de foyer en fonte, au risque de tout arracher. Une décision de dernière minute a alors été faite face à ce triste constat, et sur conseil d’un ami, la partie de la maçonnerie autour des portes a été réalisée en briques de terre cuites et de mortier au ciment (beurk) afin de ne pas prendre de risque. A ce moment-là, il m’est aussi apparu évident que la cuisinière devrait être tôt ou tard enduite afin de cacher ce vilain raccord de maçonnerie.

Une fois le corps terminé et les portes montées, il était temps de maçonner à l’intérieur le cœur de chauffe.
Ici pas vraiment de difficultés, mais une révision de mon choix concernant les matériaux qui allaient le composer. Le cœur de chauffe devait à l’origine être fabriqué entièrement en panneaux de fibres céramiques compressées, un matériau réfractaire et isolant, permettant d’atteindre rapidement de fortes températures dans le cœur de chauffe (même avec une petite quantité de bois), et ayant l’avantage de pouvoir facilement se découper dans toutes les formes imaginables. Mais après quelques découpes et manipulations de la matière en question, je me suis rendu compte que le matériau était bien trop sensible à l’abrasion et aux chocs pour être utilisé dans le foyer sans risquer de rapidement se détériorer au fil des chargements et rechargements. Ne pouvant pas non plus utiliser de briques réfractaires denses en lieu et place des panneaux céramiques, au risque de perdre le caractère isolant du cœur de chauffe et compromettre ses performances, j’ai finalement opté pour un compromis qui consistait à utiliser des briques isolantes réfractaires aux endroits les plus exposés, et du panneau de fibres céramiques aux endroits qui ne risquaient pas de subir d’abrasion ni de chocs.

Après l’assemblage du cœur en lui-même, je me suis attelé à continuer les autres assemblages devant être réalisés en panneau de fibres céramiques, notamment l’habillage de la zone qui allait devenir l’espace sous la plaque de cuisson, mais aussi l’ensemble de la surface supérieure de la cuisinière. En effet, j’avais commandé chez une marbrerie locale un plan de travail en granit sur mesure, destiné à fermer la cuisinière par le dessus, recouvrant toute sa surface supérieure (sauf la plaque de cuisson et la sortie fumisterie) et permettant de remédier à ce que je voyais comme un défaut des cuisinières à bois classiques : l’absence de surfaces non-chauffantes pour poser ses ustensiles, découper ses légumes, poser sa bouteille d’huile… bref, cuisiner, et pas seulement cuire. Mais pour que cela fonctionne comme prévu, il fallait que le plan de travail soit isolé par le dessous.

Le chantier a ensuite été mis plus ou moins en pause, en attendant que le plan de travail soit prêt. Ce temps a été mis à profit pour réaliser des travaux d’isolation à l’étage de la maison, mais aussi pour débistrer et tuber le conduit maçonné existant, de façon à ce qu’une fois le plan de travail et la plaque de cuisson posés, il n’y ait plus qu’à assembler le conduit de raccordement rigide pour mettre en service la cuisinière.
Le plan de travail est arrivé à la fin de l’été, juste à temps pour finir la cuisinière et réaliser les premiers essais avant le début de la saison de chauffe.

A noter que la cuisinière est restée pendant la première saison de chauffe en briques apparentes, puis a été enduite à la fin du printemps suivant pour mieux s’intégrer dans l’esthétique générale de la maison.
Il est donc temps de faire les présentations avec la cuisinière finie, et de présenter ses caractéristiques et ses fonctionnalités !

La bête fait donc environ 2 tonnes au total, environ 1,76m de long, 86cm de large et 84cm de haut.


Le retour d’utilisation sur 2 hivers montre qu’elle est capable, à raison d’une consommation moyenne de 20kg de bois par jour (répartis en 2 flambées de +/-10kg le matin et le soir), de chauffer entièrement une maison de 75m² raisonnablement bien isolée (besoins de chauffage de 160kWh/m²/an), ce qui équivaut sur une saison de chauffe à 6 stères.
Le cœur de chauffe, quelque peu semblable à un mini batch rocket, est composé d’un foyer muni d’un tuyau d’air secondaire permettant un apport d’oxygène préchauffé au fond du foyer, après la zone de pyrolyse du bois, afin que les gaz non-brûlés issus de cette pyrolyse puissent être entièrement brûlés. Pour aider ce processus de combustion secondaire, le foyer est suivi d’un turbuleur, zone composée de deux passages étroits successifs, obligeant l’oxygène arrivé par le tuyau d’air secondaire à se remélanger avec les gaz issus de la pyrolyse. L’ensemble est réalisé dans des matériaux à la fois réfractaires et isolants, ce afin de maintenir tout le long du parcours dans le cœur de chauffe des températures élevées sans lesquelles, même avec la bonne proportion d’oxygène et de gaz, la combustion complète ne serait pas possible.

Une fois sortis du cœur de chauffe, les gaz chauds parcourent un chemin en « U » sous une plaque de cuisson en fonte, déchargeant alors une première partie de leurs calories permettant la cuisson des aliments mais aussi d’obtenir une part de chauffage instantané, même quand la masse n’est pas encore chaude. Ils s’engouffrent ensuite par le haut dans le four noir, qui est une vaste chambre de stratification (aussi appelée « cloche ») dans laquelle est suspendue une grille à mi-hauteur, et qui est accessible par une porte placée à droite de la porte de foyer. Dans ce four, dont la température en cours de flambée oscille généralement entre 200 et 250°C, les gaz échangent une autre part de leurs calories avec la masse puis, se refroidissant peu à peu, deviennent plus denses et tombent dans le bas du four. Ils en sortent alors par deux carnaux parallèles passant sous le cœur de chauffe, échangeant à nouveau des calories avec les parois de ces carnaux. Ils finissent alors par arriver dans la partie gauche de la cuisinière, dans laquelle ils échangent une dernière fois des calories dans un large carneau montant avant de rejoindre la sortie fumisterie en diamètre 150mm. A ce stade, les gaz sont considérablement refroidis, typiquement à seulement une petite centaine de degrés, conservant juste assez de température pour permettre le tirage et éviter la condensation en cours de conduit.
Le corps de la cuisinière, en briques de terre crue, est recouverte d’un enduit plâtre-chaux-sable armé d’une trame en fibre de verre, et sa surface, sculptée et décorée de deux badigeons de chaux et d’argile, mimique la finition des murs apparents de la maison, constituée de pierres basaltiques jointées au mortier de chaux.
La surface supérieure de la cuisinière est composée d’un grand plan de travail en granit noir qui ne chauffe que très peu, et qui entoure une plaque de cuisson carrée de 60cm de côté présentant différentes zones de températures très pratiques pour cuisiner.

La cuisinière est également munie d’un clapet de démarrage, dit « bypass » permettant, lorsqu’on l’ouvre, de créer de façon provisoire un raccourci entre l’espace sous la plaque et la sortie fumisterie, sans passer par l’ensemble du long parcours habituel. Cela permet, lors des démarrages à froid, de préchauffer le conduit afin d’établir rapidement un bon tirage. Une fois ce dernier obtenu et la flambée bien lancée, il doit alors être refermé afin de rétablir le cheminement normal permettant de chauffer l’ensemble de la cuisinière.
Une fois les 10kg de bois d’une flambée entièrement brûlés en environ 5 chargements successifs étalés sur environ 2h, toute la surface extérieure du corps de la cuisinière se met à rayonner une chaleur douce qui suffit à garder la maison chauffée pendant une demi-journée, jusqu’à la flambée suivante.
Depuis sa mise ne service, la cuisinière est devenue le cœur de la maison, si bien qu’il est frustrant de la mettre en congé à la fin de chaque saison de chauffe, et que les premières fraîcheurs de l’automne se font généralement attendre avec impatience afin d’avoir une bonne raison de la rallumer !

Mais, outre la satisfaction personnelle d’avoir réussi à mener à bien ce projet et d’en tirer les bénéfices directs au quotidien, j’ai aussi remarqué que, parmi tous les corps de métiers auxquels j’avais touché de près ou de loin au cours de ma rénovation, celui-là avait été le plus stimulant et intéressant pour moi. De plus, j’entrevoyais déjà plusieurs leviers d’améliorations, des choses qui auraient pu être mieux faites, d’autres qui auraient pu être faites de façon complètement différente pour rendre la cuisinière encore plus pratique, fiable et robuste. Je me disais que peut-être, un jour, je trouverais l’occasion d’en fabriquer une seconde version autre part, et que j’en profiterais alors pour y apporter toutes les modifications que j’avais en tête.

Bravo pour ce travail, c’est aussi précis que joli !
Et merci au conduc de travaux à poils, poëles.