Au printemps 2023, quelque chose d’inattendu est arrivé.
Depuis la mise en service de ma cuisinière, cette dernière était un peu devenue LA curiosité de la maison. Après tout, aucun de mes amis proches n’avaient entendu parler de poêle de masse (et encore moins de cuisinière de masse) auparavant, mais tous s’accordaient à dire qu’il s’agissait d’un immense pas en avant en comparaison des autres modes de chauffage au bois qu’ils connaissaient, et que s’ils étaient propriétaires et en avaient les moyens, ils envisageraient sérieusement de sauter le pas. A la sortie de l’hiver, l’un d’entre eux venait justement de faire l’acquisition d’une maison à rénover, et se lançait peu à peu dans les travaux. Lors d’une visite de son chantier, il m’a demandé si je pensais qu’il serait possible pour moi de construire une cuisinière comme la mienne chez lui.
C’était une occasion que j’attendais avec impatience. J’avais déjà plein de leviers d’amélioration en tête, et j’avais récemment fait l’acquisition d’une scie à eau, un superbe outil qui allait me faire gagner beaucoup de temps dans la réalisation de ce genre d’ouvrage. Maintenant bien outillé, une question me trottait dans la tête : « En combien d’heures de travail suis-je capable de construire une cuisinière de A à Z ? ». Depuis mon arrivée dans le Cantal, je me cherchais toujours en termes de reconversion professionnelle et, même si l’idée était encore floue et la faisabilité pas encore prouvée, j’envisageais éventuellement à terme de devenir artisan poêlier.
Il m’a d’abord fallu consulter un ami ayant de l’expérience dans le gros-œuvre avant de pouvoir donner une réponse définitive. En effet, contrairement à chez moi où le sol du RDC était une dalle béton coulée directement sur un sol dur, le RDC de mon ami était surélevé, et le sol était un plancher bois sur solives au-dessus d’une vaste cave. Il faudrait donc en préambule réaliser une fondation dédiée à la cuisinière. Mon ami maçon nous a finalement soumis une solution technique pour la réalisation de ce genre de fondation, puis a proposé de venir la mettre en œuvre afin que je n’aie à me concentrer que sur la cuisinière en elle-même, qui allait déjà me donner pas mal de boulot.
J’ai donc réouvert le carnet de chantier de ma première cuisinière, comprenant mes croquis, notes et dimensions, et ai décidé de reprendre tout ça au propre, cette fois-ci avec des outils informatiques.
Les modifications et améliorations
Un des premiers problèmes que j’avais constaté sur ma première cuisinière, c’est qu’en conditions défavorables (température extérieure assez élevée, hautes pressions atmosphériques, etc…), cette dernière manquait parfois un peu de tirage, et ce malgré une belle hauteur de conduit d’environ 7m. Ce problème ne se faisait vraiment remarquer que les journées de douceur à la mi-saison, le plein hiver étant suffisamment froid.
Pour pouvoir prévoir et corriger ce genre de problèmes (et bien d’autres), j’avais participé début avril à une session de formation au dimensionnement aéraulique des poêles de masse, dispensée par l’AFPMA (Association Française du Poêle Maçonné Artisanal), qui consistait à nous former à l’utilisation d’un logiciel autrichien, Basic2+. Ce dernier permet de modéliser de A à Z le design aéraulique d’un poêle de masse (arrivée d’air, foyer, carnaux et conduit de fumées) en renseignant toutes les dimensions, de calculer la différence entre pertes de charges et forces ascensionnelles qui en résulte, puis de revoir et modifier le design jusqu’à obtenir l’équilibre.
J’ai donc renseigné dans le logiciel le design aéraulique de ma première cuisinière telle que je l’avais réalisée, et me suis rendu compte qu’en l’état, les pertes de charges étaient trop importantes par rapport aux forces ascensionnelles, et qu’il fallait donc que j’élargisse certaines sections et que je supprime certains frottements (en revoyant le mode constructif de certaines parties) afin d’atteindre l’équilibre. Une fois cet équilibre atteint, j’avais les données nécessaires pour voir comment j’allais -en pratique- créer les longueurs, sections et volumes correspondants avec les matériaux que j’aurais à disposition.
En parlant de matériaux, je disposais désormais d’informations fiables me permettant de ne pas faire fausse route comme la première fois. Suite à de nombreuses discussions avec des poêliers pros en marge de la formation au dimensionnement aéraulique, ces derniers m’ont orienté vers les bonnes pratiques en termes de maçonnerie.
La première, c’était d’utiliser des matériaux réfractaires pas seulement pour le cœur de chauffe, mais aussi pour l’ensembles des carnaux qui suivaient le foyer. En effet, jusque-là pour moi, réfractaire signifiait « qui résiste aux hautes températures », d’où le fait que je n’avais pas jugé utile de les utiliser dans les zones de la cuisinière qui n’allaient pas dépasser les 300°C. En fait c’est un peu plus que ça, le terme qualifie aussi la bonne stabilité géométrique aux variations de température, mais aussi (dans le cas des matériaux réfractaires denses) une forte capacité thermique massique, ce qui a n’en pas douter allait augmenter de façon mesurable l’inertie du corps de mes cuisinières.

La seconde, c’était de maçonner en joints minces (joints de 1 à 3mm max) au lieu des joints épais (environ 10mm) que j’avais fait lors de mon coup d’essai, en utilisant un coulis réfractaire composé d’argile, de chamotte et de silicates plutôt qu’un mortier de sable et d’argile.
Tous me redirigeaient alors vers un seul et même fournisseur : PRSE (pour Produits Réfractaires du Sud-Est), dans la Drôme, chez qui ils semblaient tous se fournir. En parcourant leur site web, j’ai pu me rendre compte que, outre des briques de dimensions assez standard (type 22x11x6cm), ils proposaient aussi des pièces différentes telles que des dalles ou des linteaux, permettant une plus grande flexibilité dans les designs, par exemple en facilitant la création de paliers internes ou bien en permettant d’enjamber des portes sans créer d’arche ou de clé de voute.

Un autre point de modification allait concerner les métalleries. Si j’avais décidé de réutiliser le même modèle de porte de foyer, faute de mieux, l’existence de linteaux réfractaires allaient me permettre d’utiliser une porte de four rectangulaire, bien moins chère que la porte en forme d’arche que j’avais utilisée sur la première version. J’avais aussi trouvé une meilleure plaque de cuisson que la simple plaque de fonte que j’avais utilisée la première fois. Cette fois-ci, elle serait constituée d’un cadre fixe ainsi que de plusieurs parties amovibles, afin de simplifier le démontage pour l’entretien annuel et permettre l’existence de jeux de dilatation. Enfin, le clapet de bypass, que j’avais réalisé chez moi avec les moyens du bord, serait désormais remplacé par un clapet du commerce en fonte prévu à cet effet et beaucoup plus robuste.


Enfin, je prévoyais de faire réaliser le plan de travail en deux parties plutôt que d’un seul tenant.
En effet, un des problèmes rencontrés sur ma cuisinière a été, dès les premières grosses flambées, l’apparition de 2 fissures dans le plan de travail, chacune sur une des bandes étroites qui entourent la plaque de cuisson. Explication probable : bien que le granit supporte en théorie des températures assez élevées (300°C) et qu’il ait été isolé par le dessous, c’est un matériau qui n’a absolument aucune souplesse. En fin de flambée, il est courant que les parties les plus proches de la plaque de cuisson atteignent malgré tout les 80-90°C, alors que les grandes étendues de granit un peu plus loin restent quasi-froides. Cette différence de température pousse le granit à se dilater de façon inhomogène, ce qui provoque une force de cisaillement au niveau des bandes étroites et cause leur rupture. Le fait de prévoir dès la conception une rupture mécanique et un petit jeu de dilatation à cet endroit devrait permettre au plan de travail de rester intact.
La modélisation 3D
Ayant désormais à ma disposition toutes les informations sur les nouveaux matériaux et nouvelles pièces que j’allais utiliser, je me suis alors fixé pour mission de faire une modélisation complète de la cuisinière à l’aide de mon logiciel de CAO fétiche, FreeCAD.

Cela allait prendre pas mal de temps, mais permettrait de remplir deux objectifs très importants : pouvoir connaître à l’avance le nombre exact de briques dont j’allais avoir besoin ; et sortir un plan de montage précis étage par étage en ayant par avance anticipé et évité les coups de sabre disgracieux (d’autant plus important que cette cuisinière avait pour vocation à rester en briques apparentes, sans enduit).
Par exemple, voici à quoi pouvait ressembler la face arrière de la cuisinière en ayant assemblé les briques en allant « au plus simple », en utilisant le plus possible de briques entières et en ne réalisant des découpes que pour compléter des espaces ou une brique entière ne passait pas :

Et voici la même face arrière, avoir substitué par endroits 2 briques entières par 3 briques 2/3 ou bien 3 briques entières par 4 briques 3/4 :

Après une bonne semaine passée à cliquer dans tous les sens, le modèle était fini :

Il ne restait plus qu’à demander les différents devis pour les matériaux, calculer le coût de revient total et vérifier que ça convenait à mon ami, puis passer les commandes ! Pour donner un ordre de grandeur, en 2023, l’ensemble des matériaux pour réaliser une telle cuisinière revenait à environ 4250€.
Construction prévue d’ici la fin de l’été…
